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Contre les douleurs dans le BTP, est-ce efficace de faire des exercices physiques au travail ?

Sur un chantier du BTP, des travailleurs sont penchés en avant. Ils sont en train de pratiquer des exercices physiques.
Renforcement musculaire, étirements, échauffements… la pratique d'exercices physiques au travail se développe, en particulier sur les chantiers du BTP, pour prévenir les troubles musculosquelettiques. Mais leur efficacité n'est pas démontrée. OPPBTP, Author provided

Des douleurs au niveau de l’épaule, du coude, des articulations des membres inférieurs ou encore du dos… Les troubles musculosquelettiques ou TMS regroupent de nombreuses pathologies des tissus mous de l’appareil locomoteur. Lié aux activités professionnelles, leur nombre demeure élevé dans les secteurs d’activité où les contraintes physiques sont importantes. C’est le cas dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP). Ainsi, les TMS se situent à la première place des maladies professionnelles reconnues en France et représentent 87 % d’entre elles, tous métiers confondus.

Ces maladies ont des conséquences sur le salarié et sa qualité de vie, mais aussi au-delà : absentéisme, pertes de compétences, sursollicitation des autres collaborateurs dont l’encadrement, pertes de performances, coûts pour l’entreprise et la collectivité, etc. La prévention des TMS représente donc un fort enjeu social et économique, au-delà de la santé au travail, que l’intensification du travail, le vieillissement de la population et les difficultés de recrutement ne font aujourd’hui que renforcer.


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Échauffements et renforcement musculaire sur les chantiers

Face à ces TMS, les entreprises mettent en œuvre de nombreuses actions de prévention, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou humaines (en passant par la formation par exemple). Elles expérimentent également des solutions « innovantes ». Parmi celles-ci, figure la mise en place d’exercices physiques sur le lieu de travail.

Les exercices sont le plus souvent destinés à favoriser la capacité des travailleurs à effectuer la tâche demandée puis à récupérer après l’avoir réalisée. Toutefois, cette pratique pose question parmi les acteurs de la prévention. Son efficacité pour prévenir les TMS n’est pas scientifiquement prouvée.


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Depuis quelques années, la pratique collective d’exercices physiques au travail se développe, particulièrement sur les chantiers des entreprises du BTP. Inspirée des méthodes japonaises ou encore de la pratique sportive, il s’agit le plus souvent d’échauffements, de réveil, de renforcement musculaire ou, plus rarement, d’étirements. Les principaux objectifs annoncés sont de réduire la survenue des TMS aussi, parfois, de réduire les accidents de travail (AT), plus particulièrement ceux qui surviennent durant l’heure qui suit la prise de poste (chute de plain-pied, lombalgies…).

Peu d’études sur le sujet des TMS et des exercices physiques au travail

À ce jour, le lien entre la pratique d’exercices physiques au travail et les TMS ou les accidents de travail n’est pas démontré. Les recherches à ce sujet sont encore peu nombreuses, notamment dans les secteurs avec de fortes sollicitations physiques. L’Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) a par exemple publié en 2021 un « retour d’expérience » dans lequel sont rapportés une « mise en route physique et mentale », un « renforcement du collectif », « une amélioration de l’ambiance de travail ». Mais les revues de littérature scientifique qui font le point, dans le domaine du BTP et dans d’autres secteurs, ne montrent pas d’effet significatif concernant les douleurs musculosquelettiques. Les potentiels bénéfices de ces pratiques seraient de l’ordre du ressenti immédiat, concernant les relations au sein du collectif de travail et entre les équipes.

Des intervenants extérieurs aux pratiques hétérogènes

Plusieurs enseignements d’importance peuvent néanmoins être tirés de ces travaux. Ainsi, il en ressort que, pour la mise en place de ces actions, les entreprises du BTP font le plus souvent appel à des prestataires extérieurs (coachs sportifs, kinésithérapeutes, ostéopathes…), à la médecine du travail ou encore à des salariés du chantier connus pour pratiquer un sport de loisir.

Les séances d’exercices physiques au travail sont alors très hétérogènes selon les chantiers et les individus. Ces pratiques diffèrent, que ce soit dans la façon dont les séances sont mises en place au sein de l’entreprise ou des chantiers, ou même dans la réalisation des exercices physiques (choix des exercices, durée…). Les objectifs à l’origine de la mise en place de ces actions peuvent eux aussi varier et s’avèrent parfois peu explicites et non formalisés.


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Finalement, une séance d’exercice physique sur le lieu de travail semble viser non pas un seul objectif, mais plusieurs, et notamment mettre le corps dans des conditions favorables en termes d’éveil, grâce à un déverrouillage et/ou une montée en température.

Agir sur d’autres leviers de prévention

Cette mise en place d’exercices physiques au travail semble s’inscrire dans une approche individuelle de la prévention : mieux préparé à l’effort, l’individu sera moins exposé aux effets délétères des tâches qu’il doit réaliser. Sans nier l’interaction possible avec des facteurs de risque individuels, les connaissances et réglementations en vigueur insistent sur la priorité que l’employeur doit donner aux mesures collectives de prévention.


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C’est dans le cadre d’un projet de thèse CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) en ergonomie qu’une étude est menée au sein de l’OPPBTP. Les recherches en cours visent à comprendre les raisons du développement de ces pratiques et à identifier les conditions leur permettant de s’intégrer avec efficacité dans les démarches globales de prévention des TMS.

Des ouvriers font des exercices d’échauffement sur un chantier du BTP
Les exercices physiques pratiqués sur le lieu de travail ne doivent pas avoir d’effets néfastes sur les compagnons, notamment pour ceux souffrant de douleurs préexistantes. OPPBTP

Identifier les conditions pour la mise en place d’exercices physiques en entreprise

L’objectif de cette étude est d’identifier les conditions dans lesquelles sont réalisées les séances. En effet, pour qu’elles puissent être présentées comme des actions concourant à la prévention des TMS, ces séances doivent s’intégrer à une démarche qui agit sur plusieurs facteurs d’apparition des TMS, en plus des facteurs individuels et physiologiques.

D’ores et déjà, quelques premières recommandations peuvent être émises. Elles seront détaillées et précisées par la suite, à l’issue du projet de thèse.

D’abord, améliorer les conditions de travail

En premier lieu, ces actions doivent être intégrées à une démarche globale de prévention. Ainsi, l’entreprise doit mettre en place d’autres actions de prévention des TMS qui permettent d’agir sur les conditions de travail.

À titre d’exemple, les activités du BTP engendrent souvent des sollicitations physiques. Les TMS proviennent ainsi d’un déséquilibre entre les capacités corporelles du travailleur et les contraintes auxquelles il se trouve exposé. Dans ce contexte, la réglementation invite l’employeur à adapter le travail à l’homme et donc à s’intéresser en premier lieu aux conditions de réalisation du travail (organisation, matériels, modes opératoires, matériaux…) avant de chercher à modifier les capacités physiques de celui qui le réalise.

Adapter les exercices à la situation de santé de chacun et à son métier

De plus, ces exercices physiques pratiqués sur le lieu de travail ne doivent pas avoir d’effets plus néfastes que bénéfiques sur les compagnons, notamment pour ceux d’entre ayant des douleurs préexistantes. Les exercices devront être adaptés à la situation de santé de tous les participants, des exercices de substitution devront sinon être proposés. Pour cette étape, il est intéressant de se faire accompagner par des professionnels du champ de la santé au travail, par exemple le service de prévention et de santé au travail.

Les séances d’exercices physiques au travail peuvent aussi être adaptées à la nature de l’activité professionnelle qui suivra ces séances. Ainsi, selon les métiers ou même selon l’organisation de la journée qui suit pour chaque compagnon, les séances pourraient ne pas se dérouler de la même façon.

À titre d’exemple, un conducteur d’engins pourrait cibler un réveil musculaire, des échauffements et quelques étirements du tronc et des membres inférieurs, le dos étant chez lui l’une des parties du corps les plus sollicitées par son activité professionnelle, notamment du fait des vibrations transmises par le véhicule. D’un autre côté, un chef d’équipe en maçonnerie visera plutôt une montée du corps en température (ce que l’on appelle du « cardio ») et un échauffement des chevilles, vu le nombre de déplacements qui s’effectuent sur sol parfois instable sur le chantier.

Une implication et des compétences spécifiques pour l’animateur des séances

L’animateur (ou les animateurs) des séances gagnerait à disposer des ressources et compétences utiles à l’animation des séances. Notre étude met en avant son implication lors des séances, notamment par sa capacité à contrôler la bonne exécution des mouvements et par sa maîtrise et sa connaissance des exercices qui lui permettent d’émettre des recommandations.

L’animateur gagnerait aussi à maîtriser les compétences spécifiques liées à la réalisation d’une séance. Cela dépend en partie de l’objectif que vise la séance (réveil musculaire, étirements, échauffement…). Par exemple, lorsque l’on vise un échauffement et donc une montée en température du corps, l’intensité et la durée de la séance doivent être suffisantes pour ressentir cet échauffement. De plus, le temps de transition entre la fin de la séance d’échauffement et les premières tâches professionnelles qui suivent doit être court pour maintenir le bénéfice de l’échauffement.

Des séances propices aux échanges entre compagnons

Ce temps de séance est souvent le seul temps de la journée durant lequel l’ensemble des compagnons se rassemblent (encadrement, personnel, intérimaires et même sous-traitants).

C’est donc un temps qui pourrait permettre aux compagnons de conduire des échanges sur les actions utiles à la prévention des TMS, comme les stratégies de travail qui leur permettraient de se protéger (échanges sur des procédés plus efficients que d’autres, sur l’utilisation d’un outil plutôt qu’un autre…), ou encore sur l’organisation de la journée après la séance d’exercices et les possibilités d’entraide.

Ce temps de séance peut aussi favoriser l’anticipation et l’organisation de la suite de la journée par l’encadrement qui pourrait profiter de cette séquence pour planifier les différentes tâches à effectuer, ajuster les équipes selon les besoins et la perception de l’état des compagnons…

Au travers de cette étude, nous questionnons donc de manière plus générale la mise en place de nouveaux dispositifs proposés aux entreprises ou parfois sollicités par celles-ci. Toute transformation du travail, qu’elle soit technique ou organisationnelle, modifie les situations de travail, l’ensemble de ces modifications et leurs impacts gagneraient à être anticipés.

Les séances d’exercices physiques au travail étant de nouvelles situations de travail à part entière, il est important de pouvoir accompagner leur conception afin qu’elles participent à la prévention des TMS.


Cet article a été publié une première fois dans le cadre de la Fête de la science 2023 dont The Conversation France est partenaire. L’édition 2023 portait sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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