Du 6 au 9 juin, les citoyens européens des 27 pays membres de l’UE seront appelés aux urnes pour élire les députés au Parlement européen.
Depuis le premier vote au suffrage universel direct en 1979, les élections européennes sont toujours considérées comme une occasion pour sensibiliser les citoyens aux projets et à l’identité européenne. Il s’agit aussi d’un baromètre sur les préoccupations des Européens sur les enjeux nationaux.
On les qualifie souvent « d’élections de second ordre » en raison d’une participation moindre de la population. Les partis axent leurs campagnes davantage sur les programmes nationaux. Cela dit, ces enjeux ont souvent une résonnance européenne et les intérêts de chaque pays façonnent les politiques au sein du Parlement européen.
Cette année, le pouvoir d’achat et l’immigration sont parmi les sujets qui animent le plus les débats, annonçant une nouvelle percée de l’extrême droite qui se capitalise sur ces dossiers épineux.
Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, je travaille sur la comparaison et la relation entre l’Union européenne et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est.
Les centristes en baisse
Selon une prévision du centre de recherches ECFR (European Council on Foreign Relations), les deux groupes politiques principaux, le centre droit PPE et le centre gauche S&D, vont perdre des sièges, tandis que le groupe d’extrême droite ID sortira vainqueur.
Il y a au total 705 députés (ce nombre va passer à 720 à l’occasion des élections 2024). Leur nombre pour chaque État membre est proportionnel à leur population. Ainsi, l’Allemagne, le pays le plus peuplé, occupe 96 sièges tandis que Malte en a six. Ces députés européens se regroupent dans des partis politiques. Jusqu’à récemment, les centristes du PPE et de S&D réussissaient à former une majorité. Mais depuis les élections de 2019, ils n’obtiennent que 44 % des sièges. Et cela pourrait diminuer.
En effet, selon les sondages, l’extrême droite ou les partis populistes remporteraient l’élection européenne au niveau national dans neuf pays, soit la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche, la Lettonie, la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne. Les victoires de ces partis nationaux pourraient donner plus de sièges à l’ID, qui a déjà réalisé une progression de 25 sièges aux élections de 2019.
Inflation et coût de la vie
Dans ces neuf pays qui pourraient voter pour l’extrême droite, l’inflation et le coût de vie figurent parmi les premières préoccupations des citoyens. En effet, depuis le début de l’année 2021, le taux d’inflation dans les pays de l’UE n’a cessé de croître, culminant à 11,5 % en octobre 2023, avant de descendre à 3,1 % en janvier 2024.
Malgré cette baisse importante, il faut noter que le taux d’inflation annuel de l’UE n’était que de 0,7 % en 2020, et n’était jamais au-dessus de 2 % depuis 2013. Dans leurs programmes politiques, les groupes d’extrême droite visent particulièrement la lutte contre l’inflation et la baisse du coût de la vie.
En Belgique, par exemple, l’inflation est passée de 10,3 % en moyenne en 2022 à 2,3 % en 2023. Dans le grand sondage « le Choix des Belges », réalisé à la fin 2023, les trois régions ont toutes placé le pouvoir d’achat en première préoccupation. Le groupe d’extrême droite VB promet d’augmenter le salaire minimum et de défendre les pensions.
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Aux élections de 2019, l’économie et la croissance figuraient déjà en tête (44 %) des raisons qui incitaient les citoyens européens à aller voter. Les quatre autres raisons mentionnées par plus de 30 % des répondants étaient le changement climatique (37 %), les droits humains (37 %), l’avenir de l’UE (36 %) et l’immigration (34 %).
L’enjeu de l’immigration
L’immigration est depuis devenue un enjeu majeur en Europe.
Le nombre d’immigrants et de demandeurs d’asile ne cesse de croître depuis 2019. L’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie sont les quatre premiers pays de destination (la Grande-Bretagne figurait dans le top 5 avant son retrait de l’UE en janvier 2021). Entre 2021 et 2022, notamment, le nombre d’immigrants et de demandeurs d’asile a augmenté de 70 % et de 63 %.
En France et en Italie où les partis d’extrême droite pourraient remporter l’élection de 2024, l’immigration serait la première raison d’aller voter. En Allemagne, l’immigration est la principale préoccupation de la population, et le parti d’extrême droite pourrait en profiter.
La réforme du pacte sur la migration et l’asile, adoptée le 10 avril 2024 a aussi divisé l’opinion publique. Le pacte prévoit un filtrage aux frontières européennes, une accélération de reconduction des personnes en situation irrégulière et une politique d’externalisation de l’accueil des immigrants aux pays tiers. Ce sont des pays aux frontières extérieures de l’UE qui reçoivent sur leurs territoires les demandeurs d’asile dont les demandes ne sont pas encore approuvées, comme en témoigne l’accord signé récemment entre l’Italie et l’Albanie.
Qualifié de « violation des droits humains » par les partisans de la gauche et « d’insuffisant » par ceux d’extrême droite, ce pacte d’immigration et d’asile a fait chuter la popularité des grands partis européens.
Aux élections de 2019, la victoire de l’extrême droite, quoiqu’attendue, est demeurée modeste. À un mois des élections 2024, elle continue à gagner du terrain dans les sondages. L’Europe risque ainsi de prendre un virage davantage protectionniste et conservateur.