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Et si les délinquants choisissaient eux-mêmes leurs punitions ?

Cheriff, 24 ans, dont la peine de quatre mois de prison a été transformée en travail d'intérêt général comme jardinier pour la municipalité de Montreuil en 2018. Philippe Lopez / AFP

Récidive, surpopulation carcérale, soupçons que les autorités cherchent surtout à remplir leurs caisses grâce aux amendes… Le système pénal français semble grippé. L’approche punitive y est centrale. Au cours des siècles, diverses formes de punition ont été utilisées pour dissuader les contrevenants potentiels, comme la punition corporelle, la privation de liberté ou les pénalités financières. Si la première a été abandonnée, les deux suivantes restent aujourd’hui les sanctions les plus courantes.

Plusieurs alternatives reposant moins sur la logique de punition et plus sur les besoins des délinquants potentiels ont été proposées pour améliorer le système pénal, comme la justice réhabilitative ou la justice réparatrice. La première vise à traiter les délinquants à travers l’éducation, la réinsertion ou des traitements médicaux. La seconde accorde un rôle majeur aux victimes et prévoit que les contrevenants puissent assumer les conséquences de leurs actions et s’engager dans des formes de réparation au bénéfice des victimes.

Mais une autre stratégie oubliée mériterait qu’on s’y attarde : plutôt que de se concentrer sur une peine quasi unique appliquée suite à l’infraction par les autorités compétentes, le système judiciaire en général pourrait permettre aux délinquants de choisir leur sanction parmi un ensemble d’alternatives prédéfinies.

Par exemple, un contrevenant coupable de dépôt sauvage d’ordures pourrait se voir proposer le choix entre une amende et des heures de travaux d’intérêt général visant à nettoyer des espaces ayant fait l’objet de tels dépôts. Ici, la nouveauté ne réside pas dans les options en tant que telles – elles sont souvent déjà à la disposition du juge – mais dans le fait de laisser le choix au contrevenant.

Les « menus de sanctions »

Cette idée n’est pas nouvelle, comme l’illustre dans la Bible la proposition divine au roi David :

« Va dire à David : Ainsi parle l’Éternel : Je te propose trois fléaux ; choisis-en un […] » (1 Chapitre 21 :10-13)

Dans un cadre plus contemporain, Michael Cicconetti, un juge de l’Ohio, a souvent été cité pour son recours aux « menus de sanctions » parmi lesquelles le contrevenant doit effectuer un choix. Par exemple, une femme qui était partie sans payer sa course en taxi a eu le choix entre une peine de prison et le fait d’effectuer le trajet à pied. Dans une autre affaire relative à un vol de bicyclette, le voleur s’est vu proposer le choix entre une activité à vélo en faveur d’un organisme de bienfaisance ou un séjour en prison.

Au Brésil, un braconnier reconnu coupable d’infractions environnementales a eu le choix entre faire un an de bénévolat dans un centre de réhabilitation de lamantins et purger une peine de prison.

Un risque que la peine perde son effet dissuasif ?

Pour les partisans d’une approche rationnelle du comportement humain, qu’il s’agisse de chercheurs ou simplement de monsieur tout le monde, donner aux délinquants le pouvoir de choisir leur peine semble être un pas dans la mauvaise direction. Dans une approche économique du crime, la décision d’enfreindre une loi résulte d’un arbitrage rationnel entre les gains espérés de l’infraction et les risques encourus, notamment la possibilité de se faire prendre et de se voir appliquer la sanction prévue. Sur cette base, l’ajout d’une option de sanction à une option préexistante, en laissant le choix au contrevenant, ne peut que diminuer l’effet dissuasif. En effet, le délinquant « rationnel » optera pour la punition la moins sévère parmi les options disponibles.

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Cependant, cette perspective d’un être humain comme uniquement calculateur et rationnel néglige souvent des aspects comportementaux concrets qui peuvent rendre le « menu de sanctions » plus efficace que la traditionnelle sanction unique. Par exemple, la nature de la sanction ou la qualification du contrevenant, ne serait-ce qu’à travers les mots employés, peut influencer la manière dont les individus réfléchissent, élargir leur champ de raisonnement, les incitant soit à faire un calcul économique (évaluer les coûts et les bénéfices) soit à réfléchir sur des bases éthiques (ce qui est moralement correct versus ce qui est incorrect).

Une piste prometteuse pour modifier les comportements

Tout d’abord, l’introduction d’une peine non monétaire dans un menu des sanctions (comme obliger un tagueur à présenter des excuses publiques et à nettoyer et repeindre les murs tagués) pourrait dissuader les individus de se contenter de comparer les coûts et bénéfices directs liés à leurs actions en reléguant les aspects sociaux et éthiques au second plan.

Le menu, plutôt que de mentionner des unités monétaires (comme le montant de l’amende encourue) peut pousser à une réflexion plus vaste, et offrir plus d’espace à des dimensions non-directement liées au calcul (gravité sociale de l’acte, conséquences pour la victime, modalités de réparation). Ces options, lorsqu’elles sont bien conçues, par exemple en attirant l’attention sur la notion de temps plutôt que d’argent, sont plus susceptibles d’activer un mode de raisonnement éthique.


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Ensuite, une sanction unique peut indiquer aux individus qu’on cherche à réduire leur liberté, ce qui peut induire un phénomène de réactance, c’est-à-dire une réaction psychologique où le sentiment de liberté empêchée renforce le désir de faire ce qui est interdit. En offrant un choix plus vaste, on peut atténuer cette tendance à aller à l’encontre de l’objectif encouragé par le régulateur, et ainsi favoriser le respect de la loi.

Enfin, l’ajout de sanctions non monétaires peut dissiper les suspicions à l’égard d’autorités qui peuvent sembler se soucier davantage de maximiser leurs recettes que de réduire des comportements indésirables. Par exemple, les radars automatiques ont été accusés d’être des machines à cash. Ce soupçon diminuerait certainement en proposant un menu de sanctions. Plutôt que de se voir infliger une amende, un conducteur surpris en excès de vitesse pourrait choisir : soit il règle l’amende, soit il participe à une initiative visant à sensibiliser d’autres conducteurs aux conséquences des excès de vitesse.

Les menus de sanctions pourraient donc être une piste prometteuse pour changer les comportements et améliorer l’efficacité de notre système pénal. Quelques points nécessitent néanmoins une attention particulière.

Concevoir des menus de sanctions efficaces reste un défi car leur impact global est mal connu. Ces menus pourraient notamment conduire à un traitement inégal en favorisant certains délinquants par rapport à d’autres. Par exemple, les individus riches pourraient opter pour des amendes plutôt que l’emprisonnement et vice versa pour les personnes financièrement défavorisées. Il est donc important de prendre en considération cette hétérogénéité lors de la conception de ces menus de sanctions afin de ne pas amplifier les disparités existantes.

Il semble aussi primordial de tenir compte des circonstances dans lesquelles les menus de sanctions sont les plus susceptibles d’améliorer les objectifs sociétaux. Par exemple, la conception de menus de sanctions efficaces nécessite probablement un certain degré de personnalisation, et leur utilisation peut être conditionnée pour les primodélinquants ou les infractions mineures. En bref, offrir aux contrevenants leur mot à dire sur la sanction qui leur sera appliquée pourrait constituer une façon prometteuse de repenser le système pénal. Si l’usage des menus de sanction reste encore limité, il existe quelques réussites édifiantes. Après avoir opté pour le bénévolat, le braconnier brésilien a connu une transformation radicale : il est devenu l’un des principaux défenseurs de la faune sauvage du pays.

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