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Fabien Roussel (PCF), Marine Tondelier (Les écologistes), François Ruffin (LFI), Léa Filoche (Génération.s) et Mathilde Panot (LFI) lors d'un rassemblement d'unité des personnalités de gauche sur la réforme des retraites en France, à Paris, le 10 janvier 2023.
Fabien Roussel (PCF), Marine Tondelier (EELV), François Ruffin (LFI), Léa Filoche (Génération.s) et Mathilde Panot (LFI) lors d'un rassemblement d'unité des personnalités de gauche sur la réforme des retraites, en janvier 2023. Christophe Archambault/AFP

Front populaire : à gauche, le retour de l’union ?

Le soir des élections européennes, le 9 juin, et les jours qui ont suivis n’ont pas manqué de surprises politiques. Si la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron fut la première et la principale, l’annonce d’un « Front populaire » rassemblant, 24 heures après les résultats, les principales forces de gauche en constitua une autre. Inimaginable il y a quelques jours encore, l’entente de partis s’étant livrés durant la campagne à de violentes critiques réciproques est brutalement apparue comme indispensable : le risque d’un triomphe de l’extrême droite le 30 juin et le 7 juillet apparaît trop grand.

Dans un paysage politique dessinant de plus en plus explicitement trois blocs – social-écologiste à gauche, néolibéral-conservateur au centre-droit et xénophobe à l’extrême droite – la dissolution prononcée par Emmanuel Macron vise prioritairement la gauche. En effet, le chef de l’État pouvait miser sur la forte désunion de la gauche lors des élections européennes pour espérer répliquer dans chaque circonscription le second tour qui l’a opposé au Rassemblement national en 2022. Cette accélération du temps politique a ainsi imposé aux forces de gauche de rétablir le dialogue quelques mois après que la Nupes, l’alliance conclue lors des élections législatives de 2022, ait implosé.

Si la Nupes a souvent été décrite comme un échec, c’est d’abord parce qu’elle a été mal jugée. Plus qu’une alliance durable, il s’agissait surtout d’un programme d’urgence visant, après une défaite de la gauche à l’élection présidentielle, à maximiser le nombre de députés à l’Assemblée nationale et à permettre aux principales formations d’y obtenir un groupe. Ce fut chose faite. De même, ce qui se présente aujourd’hui sous le titre de Front populaire apparaît avant tout comme une coalition se voulant la plus large possible, face à la perspective crédible de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.

L’union par référence à l’histoire

Quant à chercher dans un passé récent des expériences politiques comparables, la configuration actuelle apparaît singulière en raison de l’urgence de la situation.

En 1972, le programme commun de gouvernement, réunissant les signatures des communistes, des socialistes et des radicaux, apparaissait comme l’aboutissement de plusieurs années de travail. En 1997, la Gauche plurielle fut quant à elle mise sur pieds en quelques semaines après la dissolution prononcée par Jacques Chirac. Mais il s’agissait moins d’une union que d’une série d’accords sans programme commun. C’est finalement la Nupes, élaborée en 2022, qui paraît se rapprocher le plus de l’union qu’annonce le nouveau « Front populaire ». Elle fut la première entente avec des candidatures uniques dès le premier tour, et non des accords de désistement au second.

En s’emparant de l’appel à créer un nouveau « Front populaire » lancé par le député LFI François Ruffin au soir des élections européennes, la gauche a elle-même choisi sa référence historique.

Au cœur du parallèle, la mobilisation sociale antifasciste qui répondit aux émeutes orchestrées par l’extrême droite le 6 février 1934 et qui aboutit, en 1936, à l’élection du gouvernement de gauche de Léon Blum.

Plus largement encore que cette incarnation historique, la notion de « Front populaire » renvoie à une configuration critique : celle dans laquelle les forces révolutionnaires et réformistes de gauche, qu’elles soient partisanes, syndicales ou associatives, acceptent de s’entendre, y compris avec des segments de la bourgeoisie, face à la menace d’un péril fasciste.

C’est bien à cet élan collectif outrepassant les divisions face au danger que fait écho la référence au « Front populaire ».

Au-delà de la question de la pertinence historique de la comparaison avec une expérience presque centenaire, la référence traduit relativement bien les enjeux pour la gauche. Tout d’abord, elle précise la nature de l’entente : il ne s’agit pas prioritairement d’un accord idéologique. Non seulement l’imminence des élections ne permet pas d’aller au-delà d’une liste de mesures des « 100 premiers jours », mais surtout il s’agit avant tout d’empêcher l’accès au pouvoir de l’extrême droite. Ensuite, la référence au Front populaire éclaire l’étendue de l’alliance : elle vise à rassembler le plus largement possible les partis, mais également à s’appuyer sur le mouvement social en convoquant syndicats et associations.

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Des négociations plus pragmatiques qu’idéologiques

Si la proximité des élections ne permet pas d’ouvrir un réel débat programmatique, les forces de gauche auront tout de même à discuter des principaux points d’accord à mettre en avant. Durant la campagne pour les européennes, les invectives réciproques entre PS–Place publique et La France Insoumise sont allées croissantes. Au lendemain des élections, Raphaël Glucksmann a fait du soutien militaire à l’Ukraine et du refus de « la brutalisation du débat public » les conditions préalables à toute négociation. La France Insoumise a quant à elle placé parmi les siennes le « retour de la retraite à 60 ans » et le rejet du projet d’autoroute A69.

La campagne des élections européennes a exposé, sinon exagéré, les différends entre les formations de gauche. Néanmoins, l’urgence actuelle de la situation permet finalement à la grande majorité de la gauche d’insister sur ses points communs et de relativiser ses dissensions. Cela vaut y compris sur des enjeux qui, comme la situation à Gaza, ont été au cœur des tensions à gauche.

Ainsi, l’âpreté des négociations devrait davantage être liée à des questions plus pragmatiques qu’idéologiques. Alors que le dépôt des candidatures est attendu pour le 16 juin, l’enjeu des discussions tient d’abord à la répartition des places. En 2022, la Nupes a été bâtie sur le score de l’élection présidentielle, où La France Insoumise (21,95 %) devançait nettement les écologistes (4,63 %), les communistes (2,28 %) et les socialistes (1,74 %). Cependant, à l’exception de la formation insoumise, tous auraient sans doute préféré que soient inclus dans l’équation les scores réalisés lors des scrutins précédents.

Quoi qu’il en soit, cette répartition a généré d’importantes frustrations au sein des partis et favorisé la rupture rapide de l’accord. Les élections européennes ont rebattu les cartes, sans clarifier la situation. La liste de Raphaël Glucksmann (PS-Place publique) en est sortie en tête (13,83 %), devant La France Insoumise (9,89 %). Avec un million de voix d’avance, Raphaël Glucksmann n’a cependant pas pleinement inversé le rapport de force qui avait accordé sept millions de voix d’avance à Jean-Luc Mélenchon en 2022.

Ensuite, avec les investitures, se joue la question des financements. En effet, les élections législatives constituent un enjeu financier primordial pour les partis : le financement public des partis est indexé sur leurs résultats au premier tour et sur leur nombre d’élus. Ainsi, comme l’ont expliqué les politistes Florence Haegel et Frédéric Sawicki :

« les fluctuations électorales aux législatives se traduisent directement en gains ou en pertes financières ».

De ce point de vue, les négociations joueront déjà un rôle important dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. L’état du rapport de force au sein de la gauche étant au cœur des discussions, ce point ne manquera pas d’animer les échanges. La nature des tractations résulte de l’état du jeu politique à gauche. Depuis la rupture de l’élection de 2017, il n’est durablement dominé par aucun parti.

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