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La victoire des conservateurs en Pologne pèsera sur l’équilibre européen

Jaroslaw Kaczynski, leader du pari Droit et Justice, très à droite de l'échiquier politique polonais, et en tête des intentions de vote. Wojtek Radwanski/AFP

Le 13 octobre les électeurs polonais éliront leurs 460 députés et leurs 100 sénateurs. Une nouvelle victoire du parti conservateur de droite catholique Droit et Justice (PiS) actuellement au pouvoir ne fait guère de doute : les intentions de vote oscillent entre 42 % et 48 % et lui promettent la majorité absolue à la chambre basse, la Sejm.

Les véritables enjeux de ces élections sont cependant ailleurs que dans les résultats : le PiS, mené par son leader Jarosław Kaczyński, voudra-t-il réviser la Constitution dans un sens autoritaire ? Tentera-t-il de reconquérir des positions érodées en Europe ? Avec la France, choisira-t-il l’apaisement ou un regain de tension ?

La chronique d’une victoire annoncée ouvre pour la Pologne et pour l’Europe une série d’interrogations essentielles pour l’identité politique du pays… et la prochaine Commission européenne.

PiS : que faire d’une deuxième victoire historique ?

A l’échelon local comme à l’échelon national, sur le plan idéologique comme sur le plan tactique, le PiS fédère l’électorat actif : entrepreneurs, retraités, couches populaires de Pologne orientale, etc. Son grand rival, le Plateforme Civique, reste cantonné en dessous de 28 % dans les sondages.

Le PiS puise sa force dans la bonne santé de l’économie polonaise. Avec une croissance du PIB à plus de 4 % par an depuis plusieurs années, un taux de chômage de moins de 5 % et un budget tendant vers excédent, la Pologne a réalisé un « miracle » économique durable.

Le PiS a non seulement prolongé le bilan de la présidence probusiness de Donald Tusk mais également réformé la TVA et lutté efficacement contre la délinquante financière.

Le deuxième ressort du succès politique du parti conservateur réside dans sa machine électorale dynamique. En 2015, après sept années dans l’opposition, le PiS avait remporté la première majorité absolue à la Sejm depuis la fin du communisme. Il a enchaîné les succès aux municipales et aux élections européennes avec plus de 45 % des voix.

Ce parti est tout à la fois libéral sur le plan économique, conservateur sur le plan moral, eurosceptique et atlantiste sur la scène internationale. Il développe une conception populiste de la légitimité démocratique : un parti victorieux dans les urnes ne doit pas être freiné par des contre-pouvoirs.

C’est le sens des réformes engagées par le PiS en 2016 concernant la Cour Suprême, le Conseil Supérieur de la magistrature et tribunaux. Le PiS a engagé cette réforme pour renouveler le personnel de l’institution judiciaire, suscitant des manifestations historiques et l’opposition de la Commission Juncker.

Toute la question est de savoir ce que le PiS entendra faire de sa victoire du 13 octobre.

Poursuivra-t-il ses réformes conservatrices visant à limiter l’accès à la contraception et à l’avortement ? Sera-t-il tenté par une révision constitutionnelle ? Ou bien, dans la perspective des élections présidentielles de 2020, une nouvelle génération de parlementaires peut-elle être tentée de recentrer la ligne du parti autour d’un leader moins clivant que Kaczyński, en la personne d’Andrzej Duda, le juriste quadragénaire élu en 2015 aux présidentielles ?

Le poids du V4, une alliance conservatrice

Depuis l’élargissement de 2004, le poids institutionnel du pays dans l’Union n’a cessé de croître. Il a fourni à l’Europe un président le Conseil européen en la personne de Donald Tusk. Les courants pro-européens sont puissants en Pologne.

Toutefois, le PiS a placé la Pologne dans une situation ambivalente vis-à-vis de l’Union. Rompant avec le couple Macron-Merkel, il a repris le flambeau souverainiste au Royaume-Uni. Il a relancé le groupe de Višegrad (V4) qui existait depuis 1991 avec la Hongrie de Viktor Orban, la Tchéquie et la Slovaquie.

C’est le V4 qui défend les souverainetés nationales contre les politiques fédérales, lui encore qui combat la Commission Juncker sur l’accueil des migrants et sur l’identité européenne. Récusant les décisions du Conseil instaurant une solidarité des États membres dans les répartitions des migrants, les États du V4 ont dérogé à la décision commune, invoquant la lutte contre l’islamisation de l’Europe.

Les présidents tchèque (Milos Zeman) hongrois (Janos Ader) polonais (Andrzej Duda) slovaque (Zuzana Caputova) slovène (Borut Pahor) et serbe (Aleksandar Vucic), formant le groupe dit V4 auquel viennent s’ajouter la Slovénie et la Serbie, 3 octobre 2019. Michal Cizek/AFP

Autre motif de tension, la Commission Juncker a mobilisé contre la Pologne la procédure de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne. Cet article prévoit des sanctions contre les États membres qui feraient peser de sérieux risques sur les droits fondamentaux. Attaqué sur ses réformes judiciaires et médiatiques, le PiS s’est raidi dans une posture opposant les valeurs chrétiennes de l’Europe à la conception libérale des principes européens.

Aujourd’hui, le V4 représente une coalition souverainiste et se perçoit comme un porte-parole pour la Pologne, notamment pour les négociations budgétaires à Bruxelles. Mais il donne aussi une image europhobe du pays éloignée de la réalité de l’opinion et des intérêts économiques du pays.

Le PiS a aujourd’hui le choix : soit continuer à prendre la direction d’un groupe minoritaire contestataire en Europe soit reprendre son rôle de notable de l’Union.

Réparer la relation franco-polonaise ?

Entre la France de Hollande et Macron et la Pologne de Kaczyński, les tensions se sont multipliées.

La France reproche à la Pologne son atlantisme invétéré : en annulant l’achat de 50 hélicoptères de transport Caracal d’Airbus en faveur d’hélicoptères américains Sikorski en 2016 et en demandant aux États-Unis l’ouverture d’une base permanente sur son sol, la Pologne a affaibli la relance de la défense européenne chère à la France.

De son côté, la Pologne s’inquiète de la politique extérieure de la France et de l’Allemagne. Elle considère le doublement du gazoduc Nord Stream en Mer Baltique entre la Russie et l’Allemagne comme une trahison géopolitique. Et dès qu’Emmanuel Macron se rapproche de Vladimir Poutine sur la Syrie ou l’Iran, l’opinion polonaise s’émeut.

Nordstream.

Sur le plan idéologique, la rupture franco-polonaise est patente. En soutenant la Commission Juncker, la présidence Macron a désigné le PiS comme un adversaire politique. La campagne des européennes a polarisé les positions. En Pologne, vilipender la France de Macron est devenu un slogan de campagne. Symétriquement, en France, durant les européennes, le PiS a été ouvertement rangé aux côtés des partis eurosceptiques d’extrême droite comme le RN, avec lequel il ne siège pas au Parlement européen. En effet, rebuté par l’extrémisme du RN, de la Ligue, du FPÖ et du parti de la liberté, le PiS siège dans le groupe des Conservateurs et Réformateurs européens. Cohabiter avec la Plateforme Civique dans le PPE est impossible.

Comment le PiS pourrait-il reconstruire une relation correcte ou apaisée avec la France ? Le souhaite-t-il ? C’est toute la question de la prochaine mandature et du prochain gouvernement polonais.

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