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Le Premier ministre  Gabriel Attal  et le  ministre  de la Transformation et de la Fonction publics Stanislas Guerini à l'Assemblée nationale à Paris, le 3 juin 2024.
Le Premier ministre Gabriel Attal et le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini à l'Assemblée nationale à Paris, le 3 juin 2024. Ludovic Marin/AFP

Législatives anticipées : quel avenir pour la fonction publique ?

En avril 2024, pour défendre le projet d’une énième « réforme de la fonction publique », le premier ministre Gabriel Attal et le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini se plaçaient dans les pas de Maurice Thorez.

Un mois plus tard, l’annonce présidentielle d’une dissolution de l’Assemblée nationale, préparée depuis « plusieurs semaines », a conduit au gel de ces velléités réformatrices. Il convient toutefois d’y revenir dans le contexte inattendu des élections législatives anticipées car, quels qu’en soient les résultats, ils ne seront certainement pas neutres pour la fonction publique.

Maurice Thorez, inspiration gouvernementale ?

Après la Seconde Guerre mondiale, le dirigeant communiste avait effectivement porté, comme vice-président du Conseil, le projet de statut général des fonctionnaires voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale constituante en 1946. Plaçant les fonctionnaires dans un régime de droit public, celui-ci constitue depuis un instrument d’équilibre entre des droits (à l’engagement syndical, à la carrière, etc.) et des obligations (d’obéissance hiérarchique, de discrétion professionnelle, etc.).

Cette référence à Thorez n’étonnera peut-être pas qui se souvient du départ précoce de Gabriel Attal et Stanislas Guérini du Parti socialiste pour soutenir, dès 2016, la candidature présidentielle d’Emmanuel Macron, lancée avec un livre intitulé Révolution. En outre, comme le rappelait récemment la série télévisée Machine, tout juste élu Président de la République, l’ancien ministre de l’Économie de Manuel Valls conseillait « aux jeunes » lecteurs de Elle de « lire Karl Marx ».

Cette filiation revendiquée pourrait toutefois surprendre qui a suivi les dernières réformes. Dès 2015, Emmanuel Macron affirmait que le statut n’était « plus adapté au monde tel qu’il va ». Son premier quinquennat fut donc consacré à sa remise en cause. Portée par l’ancien socialiste Olivier Dussopt, mise en œuvre par la ministre de la Fonction et de la Transformation publiques du gouvernement Castex, Amélie de Montchalin, la loi « transformation de la fonction publique » de 2019 marquait déjà une certaine rupture avec les principes du statut. S’il n’est pas encore possible de tirer toutes les conséquences des changements concrets opérés par cette loi, notons qu’au-delà de la facilitation du recours aux contractuels, elle marquait un affaiblissement de la participation des travailleurs de la fonction publique et de leur représentation syndicale.

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Licencier plus facilement les fonctionnaires ?

Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques du gouvernement Attal entendait donc, lui aussi, élaborer sa propre loi. Et s’il citait Maurice Thorez, c’est en endossant la conviction présidentielle de l’obsolescence du statut : il faut « lever le tabou du licenciement » des fonctionnaires.

Ce faisant, il reprenait à son compte l’argumentaire d’une lobbyiste, dirigeante de l’IFRAP, un think tank libéral devenu fondation d’utilité publique grâce à François Fillon en 2009, considérant qu’il n’y aurait pas assez de « licenciements pour insuffisance professionnelle » prononcés à l’encontre d’agents de l’État. Mais comme Agnès Verdier-Molinié, (qui murmurerait à l’oreille du Premier ministre), Stanislas Guérini oubliait toutefois les centaines de révocations prononcées chaque année dans la fonction publique de l’État…

Le statut comporte en effet, depuis 1946, des dispositions disciplinaires permettant de se séparer d’agents. Elles témoignent à elles seules de l’inexistence d’un « tabou » mais gageons que l’objectif n’est pas l’exactitude du propos.

Ce dernier a surtout l’avantage de réactiver les représentations associées à une « administration administrante », composée de « fonctionnaires des circulaires » producteurs d’une « mauvaise graisse ». À défaut d’être original, le poncif est donc parlant, ce qui a d’ailleurs conduit Stanislas Guérini à insister : les « révocations pour faute » seraient, elles aussi, insuffisantes.

Le contexte d’une refondation

On pourrait longuement insister sur les ambivalences d’une parole ministérielle faisant de l’attractivité et de la fin du « fonctionnaire bashing » une priorité, en même temps qu’elle sous-entend l’incompétence d’un grand nombre d’agents qui seraient inamovibles. On pourrait aussi gloser sur ce qui relève de la communication, des convictions profondes, de l’improvisation ou des postures électorales… Revenons plutôt à l’histoire.

La référence à Thorez est d’autant plus intéressante qu’elle permet de rappeler l’esprit qui animait ceux qui posèrent dans les années 1940 les premières pierres étatiques d’un édifice statutaire consolidé au début des années 1980. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la refondation de la fonction publique reposa sur trois piliers : la réforme du recrutement et de la formation des cadres dirigeants (1945) ; le statut général (1946) ; et la refonte du mode de rémunération avec la grille indiciaire (1948).

Finances publiques exsangues, inflation galopante, défi de la reconstruction : difficile d’imaginer aujourd’hui que, dans un tel contexte, l’une des priorités gouvernementales fut de réformer la fonction publique. Mais pour les refondateurs de l’après-guerre, des communistes aux gaullistes, il s’agissait de prendre au sérieux la responsabilité des services publics dans l’effondrement de la IIIe République et de créer les conditions nécessaires à l’efficacité d’un appareil administratif au service de l’intérêt général.

Le mot est lâché : l’« efficacité » semble au cœur des projets du ministre en exercice. Il est vrai que devant le conseil supérieur de la fonction publique, en mars 1946, Maurice Thorez insistait sur le fait que le rendement des services publics constituait l’un des problèmes permanents de la réforme administrative. Ce point de vue était d’ailleurs largement partagé. Le premier directeur de la Fonction publique, Roger Grégoire, était plus proche de Michel Debré que du dirigeant communiste. Comme ce dernier, il voyait dans le rendement un des enjeux fondamentaux du statut de fonction publique qui se devait d’être efficace. De son côté, un proche de Pierre Mendès France, Gabriel Ardant dirigeait un comité d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics, dont il jugeait la mesure indispensable à leur bon fonctionnement.

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À quoi et à qui servent les fonctionnaires ?

Mais avant d’en conclure à une sorte de continuité des intentions jusqu’au projet de loi « pour l’efficacité de la fonction publique » promu par Stanislas Guérini, il semble utile procéder à quelques rappels.

En premier lieu, les acteurs précités se gardaient de toute assimilation entre fonction publique et organisations privées. Ardant prenait ainsi soin d’insister sur le fait que la « recherche de l’efficacité » dans le secteur public, visait la « satisfaction du plus grand nombre », puisque « toute administration […] a pour mission la défense de l’intérêt général ». Grégoire défendait quant à lui l’idée selon laquelle une « saine politique de la fonction publique » devait concilier la recherche de l’efficacité et du rendement avec la nécessaire protection de la fonction publique « contre les pressions des intérêts privés et contre l’arbitraire des gouvernants ». Pour le directeur de la fonction publique, cette indépendance était une garantie, non seulement pour ses membres, mais aussi pour les bénéficiaires des services publics.

En second lieu, soulignons que la politique de la fonction publique menée des années 1945-1950, fondée sur des négociations et des compromis politiques et syndicaux, consista non seulement en l’élaboration d’un statut, d’une grille indiciaire, et de réductions d’effectifs importantes, mais aussi en une tentative de forte revalorisation des rémunérations, ce dont semble s’inspirer le « Front populaire » en cours de constitution.

À l’approche des élections législatives, des cadres administratifs se préparent, voire espèrent « la victoire du RN », tandis des collectifs syndicaux et associatifs appellent à un « pacte d’engagement pour le service public » comme antidote à cette victoire.

Le statut de 1946, comme son successeur de 1983, portait une haute conception du dialogue social dans la fonction publique et de l’indépendance des « fonctionnaires-citoyens ». Sur ce point, plus encore que le chiffon rouge des licenciements, la continuité n’est probablement pas ce qui retiendra le plus l’attention de celles et ceux qui ont observé ou vécu les transformations récentes de la fonction publique. Nous aurons peut-être à en mesurer les conséquences à partir du 8 juillet 2024.

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