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Emmanuel Macron lors de la cérémonie à Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. Le président français lance le même jour la campagne pour son parti, dans la perspective des élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet et qui pourraient voir le RN majoritaire à l'Assemblée nationale. Ludovic Marin/AFP

Législatives : comment une cohabitation rebattrait les cartes entre le président et son premier ministre 

À la suite d’une défaite du camp présidentiel déjà largement commentée, liée – notamment – à une montée impressionnante de l’extrême droite, le président de la République, Emmanuel Macron, a convoqué l’article 12 de notre Constitution et procédé à la dissolution de l’Assemblée nationale.

Alors que certains chefs politiques, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, auraient préféré une démission du président, il est important de comprendre la dualité contenue par la Constitution française du 4 octobre 1958, et le peu d’importance réservée au président dans l’hypothèse d’une cohabitation.

Une Constitution faite par et pour le pouvoir exécutif

La Constitution de 1958 a été adoptée avec pour objectif d’amoindrir le pouvoir de l’Assemblée nationale et, ainsi, de mettre un terme aux instabilités gouvernementales.

Ce renforcement du pouvoir exécutif a atteint son paroxysme avec l’instauration de l’élection du président au suffrage universel direct, au prix l’une légère torsion de l’article 11 de la constitution, à la suite du referendum de 1962 convoqué par le Général de Gaulle.

Le président, qui devait représenter la continuité des institutions, en dehors du système politique, descend dans l’arène des élections. Cela lui offre une légitimité pour asseoir son pouvoir et ses idées directrices mais, revers de la médaille, ses prises de position peuvent devenir clivantes. Une partie de la population ne se reconnaît alors plus en cette personne, ce qui ne serait pas le cas avec une posture neutre.

C’est cette procédure particulière qui pousse certaines personnes à qualifier la France de régime parlementaire présidentialiste voire de régime présidentiel, puisque dans cette organisation, le président est un membre actif de la politique menée au niveau étatique.

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En effet, dans la grande majorité des pays qui ont un régime parlementaire (comme la France, donc), ce n’est pas le président ou la présidente, le roi ou la reine - dont le visage est certes familier – qui s’engage dans des débats politiques publics. En Allemagne par exemple, durant de nombreuses années, nous nous sommes habitués à entendre le nom d’Angela Merkel. Pourtant, elle n’était pas présidente mais chancelière (poste se rapprochant du premier ministre français). Au Royaume-Uni, lorsque l’on pense politique, les premières représentations qui nous viennent à l’esprit peuvent être Margaret Thatcher, Tony Blair, Boris Johnson ou encore Liz Truss. Ce sont, là encore, des premières et premiers ministres. La Reine Elisabeth II et désormais le Roi Charles III sont bien plus en retrait – comme le démontre admirablement la série The Crown.

Alexandre Frambéry-Iacobone, 11 juin 2024

Nous le constatons, la France est donc particulière : le chef de l’État, contrairement à la majorité des autres pays où domine un système parlementaire, est élu directement par le peuple, lui offrant visibilité et légitimité. Notre Constitution dispose donc d’une double lecture.

Une Constitution à deux visages

Puisque nous sommes néanmoins dans un régime parlementaire, nous y retrouvons les moyens classiques de maintien de l’ordre politique et de régulation des pouvoirs. Ainsi, un exécutif menacé ou qui n’arrive pas à obtenir les réformes promises peut dissoudre l’Assemblée nationale (art. 12 de la Constitution), ou forcer le passage d’une réforme en mettant en cause sa responsabilité et sa potentielle obligation de démissionner grâce à l’article 49 alinéa 3 (et non 49.3 ou 49-3). À l’inverse, une Assemblée nationale insatisfaite de son gouvernement peut le renverser par l’action de l’article 49 alinéa 2.

Dès lors, un président exerçant au cours d’une cohabitation (situation dans laquelle le gouvernement n’est pas du même parti politique que lui) est replacé dans un rôle presque effacé ; celui, plus classique, que nous rencontrons dans les autres régimes parlementaires :

Alexandre Frambéry-Iacobone, 11 juin 2024

En revanche, lorsqu’un président de la République élu au suffrage universel direct dispose d’une même majorité politique à l’Assemblée nationale, il obtient, de fait, une plus grande légitimité que son Premier ministre, celui-là même qui est censé diriger l’action du gouvernement. Lorsque tous ces feux sont au vert, nous appelons cela le fait majoritaire : le président de la République devient l’homme fort de l’État, le premier ministre se situe en dessous de lui dans une hiérarchie de fait (et non une hiérarchie textuelle inscrite dans la Constitution), et les réformes qu’il impulse ont de grandes chances d’aboutir à l’Assemblée nationale.

Ici, le Premier ministre est non seulement responsable devant l’Assemblée dont il est issu selon le choix relativement libre du président, mais il rend également des comptes au chef de l’État. En outre, au cours de la Ve République, certains Présidents demandaient une lettre de démission « en blanc » à leur Premier ministre, jouant sur l’ambiguïté de l’article 8 de la Constitution. Ce fonctionnement n’est possible, encore une fois, que dans l’hypothèse du fait majoritaire.

Alexandre Frambéry-Iacobone, 11 juin 2024

Le fait majoritaire a été grandement renforcé par la réforme constitutionnelle menée sous Jacques Chirac en 2000, qui a réduit le septennat au quinquennat, et positionné les élections législatives après les élections présidentielles : depuis, nous n’avons plus vécu de cohabitation, tout au plus une majorité relative pour le camp gouvernemental depuis 2022.

Les législatives : élections plus importantes que la présidentielle

Finalement, peu importe presque la couleur politique du chef de l’État : son action peut être neutralisée – ou du moins, grandement amoindrie – si l’Assemblée nationale n’est pas majoritairement composée de membres de sa famille politique. Le dernier à avoir connu cette situation est Jacques Chirac qui, élu en 1995 dissout l’Assemblée en 1997.

A suivi une majorité parlementaire de gauche, l’obligeant à travailler avec un premier ministre, des ministres et une Assemblée dominés par un autre parti que le sien. Lionel Jospin avait alors des pouvoirs renforcés, puisqu’en adéquation avec la sensibilité politique de l’Assemblée. Conséquemment, il a notamment pu mettre en place les 35 heures, la couverture maladie universelle, l’allocation rentrée scolaire, le congé parternité, le PACS… autant de mesures qui n’étaient pas soutenues par le président Chirac ou son parti.

Ce qui se joue, actuellement, c’est le basculement potentiel d’une France dominée par le parti du président au gouvernement et à l’Assemblée (imparfaitement) – fait majoritaire –, vers un système de cohabitation, qui réduirait nettement les prérogatives d’Emmanuel Macron.

Avec une Assemblée qui pourrait basculer vers l’extrême droite, le chef de l’État n’aurait pas d’autre choix que de nommer un premier ministre issu de cette tendance politique – au risque, sinon, d’un renversement de gouvernement puisque ce dernier est responsable devant l’Assemblée. Le premier ministre, lui, aurait les mains libres pour composer son gouvernement et, par la suite, déposer des projets de loi (l’Assemblée peut déposer des propositions de loi mais ces dernières sont moins nombreuses que les projets du gouvernement).

Alexandre Frambéry-Iacobone, 11 juin 2024
Alexandre Frambéry-Iacobone, 11 juin 2024

Finalement, en décalant l’échéance des législatives, le risque de cohabitation revient planer en France. Les institutions fonctionneraient alors selon une configuration plus classique de régime parlementaire. Ainsi, même sans démission du président Macron, nous pourrions nous trouver menés par une tout autre dynamique politique que celle du parti présidentiel.

Cela nous rappelle avec force que les élections les plus importantes pour notre pays ne sont pas réellement celles qui désignent le ou la chef de l’État, sinon celles qui instituent nos 577 députés, dont la couleur politique majoritaire dictera pour grande partie la composition du gouvernement et la gestion du pays.

À titre annexe, cette dissolution obligeant des élections législatives en cours de mandat, il nous faudra observer la dynamique en 2027, lorsqu’une nouvelle présidente ou un nouveau président sera élu. Si l’Assemblée nationale n’est pas de même sensibilité politique que la personne portée par ce suffrage, il y aura de fortes chances que nous devions retourner aux urnes pour renouveler, encore, le véritable cœur du fonctionnement institutionnel français : l’Assemblée nationale.

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