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L’électorat enseignant, convoité par le Rassemblement national

En mai 2024, à Hayange, affiches pour les candidats des partis d'extrême-droite pour les élections européennes
Affiches pour les candidats d'extrême-droite aux élections européennes, en mai 2024, à Hayange. AFP/Jeff Pachoud

Le monde enseignant a longtemps été considéré comme foncièrement réfractaire au vote en faveur des partis d’extrême droite. Mais, désormais, on n’en est plus assuré, tant s’en faut.

Publié le 20 mai 2024, un sondage OpinionWay pour CNews, Europe 1 et le JDD estime que 15% des enseignants comptent voter pour le Rassemblement national aux élections européennes du 9 juin 2024. Si ce score est en-deçà des intentions de vote globales estimées à 31% pour la liste menée par Jordan Bardella, il confirme un basculement au sein de l'électorat enseignant.

C’est ce qu’avait déjà d’ailleurs pointé à sa façon Marine Le Pen lorsqu'elle avait salué la création du collectif Racine rassemblant des enseignants « bleu marine », déclarant à la fin de son colloque du 12 octobre 2013 qu’une telle initiative « était inimaginable il y a quelques années ».

En réalité, la démarche délibérée des Le Pen vers les enseignants vient de loin, même si le succès n’a pas été au rendez-vous immédiatement.

Les messages des Le Pen adressés aux enseignants

Marine Le Pen s’était déjà adressée aux enseignants lors du colloque du Front national sur l’école de septembre 2011 en leur disant on ne peut plus nettement :

« Nous n’avons pas su vous parler. Longtemps nous avons commis l’erreur de croire que vous étiez complices de la destruction de l’école. Pour l’immense majorité d’entre vous, c’était une erreur et cette époque est révolue. »

Jean-Marie Le Pen lui-même était allé dans le même sens, cinq ans plus tôt, le 12 novembre 2006, lors de son discours au Bourget sur son « projet présidentiel » pour 2007, en se présentant comme « l’espoir de renouveau et la conscience progressiste du pays ». Il avait alors fustigé « le mépris des fonctionnaires, forcément absentéistes, qu’on veut rendre responsables de la destruction des services publics, alors que le plus souvent, fidèles à leur mission, ils en sont les premières victimes ».

Et pour ce qui concerne plus spécifiquement l’école et ses enseignants, Jean-Marie Le Pen avait mis en avant des préoccupations qui peuvent être partagées par nombre d’enseignants sans qu’elles soient des singularités propres au Front national :

« L’école est le véritable et premier lieu où se forge l’égalité, celle des chances. Or la véritable sélection, j’ose le dire, est source de l’égalité véritable […]. Lire, écrire, compter, connaître l’histoire et la géographie de son pays sont des bases essentielles qui aujourd’hui manquent à un élève sur quatre en sortie du primaire. L’école publique doit aussi respecter scrupuleusement la neutralité religieuse, politique et philosophique »

L’aggiornamento des Le Pen ne semble pourtant pas avoir eu un effet sensible immédiat. Quelques mois après son intervention au Bourget d’octobre 2006, Jean-Marie Le Pen n’obtient que 3 % des intentions de vote exprimées chez les enseignants pour le premier tour de la présidentielle de 2007 selon un sondage effectué en février 2007 par l’IFOP pour Le Monde de l’éducation.

Et quelques mois après son intervention de septembre 2011, Marine Le Pen n’atteint que 5 % des intentions de vote exprimées dans le sondage effectué par l’IFOP pour Le Monde de l’Éducation en février 2012. Marine Le Pen reste à l’étiage de ces 5 % selon le sondage effectué par l’IFOP à la mi-avril 2017.

Un vote enseignant en faveur du Rassemblement national minoritaire mais qui s’installe

Si on suit les indications du tableau 5 établi par Luc Rouban dans sa Note de recherche pour l’élection présidentielle 2022 à partir des données de l’enquête présidentielle 2022 par Cevipof et Ipsos, vague 24, d’avril 2021, on aurait eu 10 % de déclarations d’intentions de vote parmi les suffrages exprimés des enseignants, contre 8 % en mars 2017 est-il mentionné.

Luc Rouban. Les fonctionnaires face à l’élection présidentielle de 2022 (en avril 2021). [Rapport de recherche] CEVIPOF. 2021, pp.12. ffhal-03613479

Il semble bien qu’il y a eu un décollage progressif et continu (avec « effet retard ») du taux de déclarations d’intention de votes exprimées par les enseignants en faveur de Marine Le Pen passant de 5 % en février 2012 à 8 % en mars 2017 puis 10 % en avril 2021. Et cela va dans le sens d’un vote Le Pen qui s’installe dans le paysage enseignant durant ces dernières années, après bien des efforts de leur part.

Le 25 avril 2023, sur RTL, il a été mis en avant qu’« un quart des professeurs a voté pour Marine Le Pen au second tour des présidentielles selon une étude du Cevipof ». Même s’il convient sans doute de relativiser (car au premier tour on choisit et au second tout on élimine, ce qui n’a pas le même sens), cela donne quand même à réfléchir.

S’il ne s’agit certes pas d’une vague susceptible d’emporter vraiment le monde enseignant, il n’en reste pas moins que l’on a quitté la place d’un vote dans les marges pour un vote certes foncièrement minoritaire chez les enseignants, mais qui s’installe et fait désormais partie du paysage.

Le Rassemblement national poursuit son offensive sur les sujets scolaires

En ce second quinquennat d'Emmanuel Macron, Marine Le Pen a continué ses interventions selon l’angle adopté dans sa conférence de presse du 8 décembre 2017, soulignant « la victoire idéologique » de son organisation :

« Beaucoup d’annonces de M. Blanquer étaient dans mon programme présidentiel ; évidemment je ne peux que m’en féliciter, en espérant que le ministre ira jusqu’au bout de sa logique et ne se contentera pas d’effets d'annonces et de mesures symboliques ».

En janvier 2024, par exemple, lorsque la «première dame» Brigitte Macron s'est prononcée en faveur d'une tenue unique pour les élèves, la présidente du parti d'extrême-droite à l'Assemblée nationale en a profité pour tenter de faire passer une loi pour l’imposition d’un uniforme à l’école, défendu de longue date par son organisation.

Et Marine Le Pen a pu observer avec satisfaction que Gabriel Attal, lors de son passage au ministère de l'Éducation, reprenait des propositions majeures de son programme éducatif pour l’élection présidentielle de 2022 en annonçant que le brevet serait désormais une condition nécessaire pour entrer en seconde, ce que le brevet n’avait jamais été jusque-là. Une « arme de destruction massive » selon Marine Le Pen , afin d’en finir avec avec le collège unique.

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