Menu Close
L'opposante Brigitte Adjamagbo-Johnson met son bulletin de vote dans l'urne à Lomé le 29 avril 2024, lors du scrutin législatif au Togo. Photo : EMILE KOUTON/AFP via Getty Image

Togo : le parti unique se profile malgré le multipartisme formel

Le 29 avril 2024, 4 millions de Togolais ont été appelés aux urnes pour participer à un double scrutin visant à élire 113 députés et 179 conseillers régionaux. Ces élection ont consacré une écrasante victoire du parti au pouvoir, l'Union pour la République (Unir), qui a remporté plus 96 % des sièges à l'Assemblée nationale. L'opposition n'a obtenu que 5 % des sièges. Le taux de participation s'élève à 61,76 %, selon les chiffres confirmés par la Cour constitutionnelle.

Koffi Amessou Adaba, enseignant et chercheur en sociologie politique, explique à The Conversation Africa les enjeux de ces élections en apportant un éclairage crucial sur l'évolution de la démocratie dans le pays.

Quelles sont les principales leçons que vous retenez de ces élections?

Tout abord, ces élections se sont déroulées sans heurts. L'histoire du Togo a été souvent marquée par des contestations électorales (2005, 2010, 2015 et 2020 pour les présidentielles) où les acteurs politiques ont toujours eu du mal à s’entendre sur les règles du jeu électoral mais aussi et surtout sur les résultats électoraux. L’expérience de double scrutin au Togo pour la première fois, s’est faite dans un climat de paix appréciable.

Dans ce sens, on peut aussi dire, sans ambages, que les deux élections, législatives et régionales ont permis de désactiver les tensions naissantes relatives à la réforme constitutionnelle de la 5ème République. Le vote a donc servi de soupape de sécurité pour garantir la révision constitutionnelle qui aurait pu conduire à des tensions sociales violentes.

Une autre leçon de ces élections reste la proximité comme facteur important dans le choix électoral des Togolais. Les électeurs donneraient plus de crédit aux candidats qui sont nés et qui ont grandi dans leur circonscription électorale au-delà du simple fait d’être un résident. Ces facteurs se combinent à des moyens financiers et à la possibilité supposée du candidat à satisfaire des intérêts personnels de l'électeur.

Cette stratégie a été l’un des facteurs déterminants de la victoire du parti au pouvoir : tous les cadres du parti, les anciens ministres, les anciens députés, les hauts fonctionnaires de l’État s’étaient déployés dans leurs circonscriptions électorales respectives où ils sont nés et ont grandi. Ces derniers ont eu la capacité de mobiliser les ressources financières pour influencer l’électorat.

D’ailleurs, le simple fait qu’un électeur puisse déjà savoir que le candidat de son terroir est un haut fonctionnaire de l’État amène un bon nombre à voter pour ce dernier. Les électeurs auraient donc voté plus pour les candidats qui leur sont proches non pas forcément politiquement mais plutôt socialement, économiquement et géographiquement.

L'opposition avait également proposé des candidats “locaux”, proches de la population. Mais ici, la proximité suppose la combinaison de tous les facteurs évoqués: moyens financiers et le bénéfice individuel escompté par l'électeur.

De plus, les enjeux électoraux semblent perdre de leur pertinence au Togo. Et ces élections ont l’air de renforcer cette hypothèse. Les enjeux se polarisent autour de l’alternance au pouvoir solidement défendus par les partis de l’opposition sans proposer d’autres alternatives sur les questions de société, notamment les questions de l’emploi, de l’orientation économique, de géopolitique et des relations internationales du pays.

Pour le parti au pouvoir, les enjeux électoraux se résument souvent à la défense de la paix et de la sécurité qui suppose une absence de guerre, et la lutte contre les contestations politiques qui nuiraient au pays, etc. Tout ceci suscite un sentiment de désaffection des Togolais à l'égard des élections. Les Togolais ne sont pas convaincus que les élections améliorent la gouvernance du pays ou améliorent leurs conditions de vie ou encore permettent de révoquer les dirigeants qui ne répondent pas à leurs attentes.

Enfin, autre enseignement de ce scrutin : le renforcement du déclin électoral des partis de l’opposition au Togo. En effet, depuis 2005 quand le président Faure E Gnassingbé a pris le pouvoir après le décès de son père, les partis de l’opposition enregistrent des scores électoraux de plus en plus faibles au profit du parti au pouvoir (le parti au pouvoir a eu 50 sièges sur 81 en 2007; 62 sur 91 en 2013, 59 sur 91 en 2018 - malgré le boycott de l’opposition - et 108 sur 113 en 2024 pour les législatives).

Dans ces conditions, même si au plan juridique, le multipartisme est consacré, la scène politique semble se présenter comme un système de parti unique de fait.

Quel impact pensez-vous que le résultat aura sur la dynamique politique du pays ?

Les impacts sont contrastés. D’une part, on peut évoquer un nouveau départ pour la classe dirigeante togolaise. Le parti au pouvoir va continuer à garder le contrôle de la scène politique, à l’orienter à son rythme et à opérer les réformes qu’il jugera nécessaires pour la conservation du pouvoir.

D’autre part, l’opposition aura profondément du mal à se restructurer pour jouer le rôle qui est le sien dans un système démocratique. La place des partis politiques s'impose à tout système démocratique même si le Togo est encore à ses début du processus de démocratisation.

Quels sont vos espoirs et vos inquiétudes pour l'avenir ?

Pour mieux faire en politique, il faut la pluralité des idées. Tout parti au pouvoir a nécessairement besoin d’une opposition pour se légitimer. Les querelles politiques vont s’estomper et devront laisser la place aux grands projets de développement, selon la volonté du parti au pouvoir. Autrement, les crises sociopolitiques pourraient refaire surface, puisque le multipartisme togolais semble ne pas être une réalité.

Les crises font partie intégrante de toute société et le Togo ne pourrait pas faire exception. Les partis politiques incarnent la pluralité des opinions politiques. Dans un système à parti unique de fait, cette diversité fait défaut.

Par conséquent, la manifestation des conflits y devient violente. En définitive, la faiblesse des partis politiques de l'opposition se pose comme une inquiétude pour l'avancée de la démocratie au Togo.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 184,500 academics and researchers from 4,974 institutions.

Register now