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un dessin d'équipe internationale en noir et blanc avec un planisphère en surimpression
Dans les équipes internationales, gare à la discrimination des moins bons en langue. Rawpixel, CC BY

Equipes internationales, faites attention aux non-bilingues !

Originaire d’Amérique latine, Maria parle trois langues au quotidien : l’espagnol à la maison, le français, dans les commerces près de son appartement, à Toulouse, et enfin l’anglais au travail. Tout comme Maria, de nombreux employés de multinationales doivent utiliser la langue officielle de leur entreprise au travail, qui diffère souvent de celle de leur pays de résidence, voire de leur propre langue maternelle. En l’occurrence, parmi de nombreuses autres entreprises, Airbus en France et Volkswagen en Allemagne adoptent l’anglais comme langue de travail.

Dans les équipes multinationales, la maîtrise linguistique varie souvent de manière significative, ce qui peut affecter la capacité des membres à s’exprimer et à participer aux discussions de l’équipe. Des études antérieures indiquent qu’environ 41 % seulement des membres de ces équipes maîtrisent parfaitement l’anglais, quand environ 17 % en ont une faible maîtrise. Cette divergence crée non seulement des défis pour la communication interpersonnelle, mais influence également la façon dont les membres sont perçus ainsi que leur influence globale au sein des équipes multinationales, comme nous le soulignons dans notre article récent.

Respect pour ceux qui maîtrisent l’anglais

Notre analyse de 249 équipes multinationales basées en France dans une organisation qui utilise l’anglais comme langue officielle révèle que les membres de l’équipe accordent un statut plus élevé à ceux qui maîtrisent mieux l’anglais : ces personnes sont, en effet, traitées avec plus de respect et d’admiration. En outre, nous avons constaté que même lorsque d’autres variables potentielles étaient prises en compte – telles que le sexe et les traits de personnalité – les membres de l’équipe accordaient toujours plus de respect et d’estime à leurs collègues qui parlaient « couramment » anglais.

Pour corroborer le fait que nos résultats ne sont pas propres à cette organisation ou à la France, nous avons mené plusieurs autres expériences. Tout d’abord, nous avons effectué une étude avec des personnes bilingues allemand-anglais. Dans un jeu de rôle, les membres d’une équipe multinationale ont reçu un message vocal, joué par un acteur, prenant le rôle d’un nouveau collègue allemand fictif. L’acteur a enregistré deux versions du même message dans lesquelles il se présentait aux participants de l’étude comme leur nouveau collègue, l’une dans un anglais parfait, l’autre intégrant des fautes de prononciation et des erreurs. Là encore, les participants exposés à la version en anglais parfait ont perçu le collègue comme ayant un « statut plus élevé » par rapport à ceux qui ont écouté la version contenant des erreurs.

Pour vérifier si nos résultats étaient propres à l’anglais ou s’ils pouvaient être généralisés à d’autres langues officielles de l’entreprise, nous avons ensuite répété nos expériences précédentes, mais cette fois en espagnol. Nous avons enregistré deux présentations en espagnol (là encore, avec l’aide d’un acteur américain) et les avons présentées à un groupe de participants espagnols. Le message en espagnol courant a de nouveau été mieux noté en termes de statut.

Dans l’ensemble de ces études, nous avons également constaté que les participants et participantes qui bénéficiaient d’un plus grand respect et d’une plus grande admiration en raison de leur meilleure maîtrise de la langue, exerçaient une plus grande influence au sein de leur équipe. Plus précisément, ces personnes disposaient de plus de temps pour proposer des idées. Ces idées, considérées comme étant de meilleure qualité, leur permettaient ainsi d’émerger davantage en tant que leaders d’équipe informels.

Des talents sous-utilisés

Bien que nos résultats révèlent que la maîtrise de la langue peut enrichir les équipes multinationales, nous avons également mis en évidence certains problèmes potentiels. Par exemple, les personnes qui maîtrisent moins bien une langue peuvent ressentir une mise à l’écart lors des discussions d’équipe, ce qui signifie qu’elles n’y participent pas de façon égalitaire ou que leurs compétences et leur talent sont sous-utilisés. Il s’agit là d’un problème crucial, car les bonnes idées peuvent provenir de n’importe quel membre, et pas seulement de ceux qui parlent couramment.

Les membres les moins à l’aise en langue peuvent s’autocensurer, craignant d’être ridicules parce qu’ils ou elles ne sont pas capables de s’exprimer correctement. Au fil du temps, les membres les plus faibles linguistiquement, restant continuellement silencieux, sont considérés comme moins compétents, ce qui peut nuire à leurs futures opportunités de carrière.

Outre ces défis pour les individus, il y a aussi des défis pour les équipes. Les différences linguistiques peuvent créer des divisions, avec des clans qui se forment en fonction de la maîtrise de la langue. De même, les barrières linguistiques peuvent entraîner des malentendus et ralentir les processus de prise de décision. Ces problèmes peuvent donc avoir un impact négatif sur les performances de l’équipe.

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Heureusement, les entreprises et les organisations peuvent utiliser nos résultats de plusieurs manières pour enrichir les équipes et surmonter ces défis. Les équipes multinationales doivent prendre conscience que les bonnes idées peuvent venir de n’importe quel membre, et non uniquement de ceux qui parlent couramment. Ainsi, tous les membres doivent avoir la possibilité de partager leurs idées. Il est essentiel de créer un environnement dans lequel chaque membre de l’équipe se sent valorisé et écouté.

Gare à la glottophobie au travail

Cela implique de reconnaître et de traiter tout préjugé lié à la langue qui pourrait exister comme, par exemple, la glottophobie ou la discrimination à l’encontre des membres ayant certains accents. Les organisations peuvent lutter contre ces phénomènes à l’aide de différentes stratégies, telles que la formation à la sensibilité culturelle, la mise en œuvre de politiques d’inclusion linguistique et l’encouragement des dirigeants ayant des accents non standard à servir de modèles pour les autres employés.

Une autre voie à explorer est l’utilisation de traducteurs ou de technologies, afin que les membres puissent communiquer dans la langue qu’ils ou elles préfèrent pendant que le reste de l’équipe écoute dans une langue qu’ils peuvent comprendre. Encourager les membres de l’équipe à partager leurs idées dans la langue qui leur convient le mieux peut contribuer à créer une atmosphère inclusive. Toutefois, si de tels outils sont adoptés, ils doivent s’accompagner d’un changement dans la culture de l’organisation. Cela implique de créer un environnement où la patience et la compréhension sont primordiales, en veillant à ce que chacun puisse contribuer pleinement sans être marginalisé en raison de ses compétences linguistiques.


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Dans cette attente, et jusqu’à ce que les organisations parviennent à créer une culture d’inclusion linguistique favorable, les services et départements des ressources humaines devraient offrir à leur personnel une formation et un soutien linguistique continu afin que tous les membres puissent mieux s’exprimer dans la langue officielle de l’organisation.

La maîtrise des langues n’est pas seulement une nécessité pratique, mais un atout stratégique dans les équipes multinationales, car elle façonne la dynamique et les performances de l’équipe. Reconnaître et gérer la diversité linguistique peut donc stimuler les performances de l’équipe et lui procurer un avantage concurrentiel.

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